Meltintalle Oloriel Conseillère
Messages : 171 Date d'inscription : 03/07/2014
| Sujet: Les contes Sam 28 Mar 2015 - 11:46 | |
| Le Requin bélier
Les eaux avoisinant Triskel connaissaient un fléau. Un sombre fléau à la peau d'albâtre, pourtant. Une terreur, louvoyant dans l'onde, ombre menaçante promettant aux coques des navires les pires avaries.
Et un jour ... On mandata la Compagnie pour ranger cette menace au rang des vieux souvenirs.
Dent pâle ne serait pas de taille face aux Clés.
Nous en étions tous convaincus quand, le sourire aux lèvres, nous embarquâmes sur le Premier Vent. Un fier bâtiment. Pour une fière Compagnie. La foule se pressant sur les quais ne faisait que gonfler ce sentiment d'importance. Ce sentiment que nous faisions plus qu'un travail. Nous œuvrions pour libérer des braves gens d'un péril qui nuisait à leur quotidien. D'un péril qui sillonnait leurs eaux, pétrifiant leurs marins.
Aussi la liesse qui s'empara des foules à notre départ était compréhensible. Mais derrière cette joie dormait une inquiétude. Minime. Certes. Mais présente. Celle que les pertes excèdent le profit de l'entreprise. Celle que Dent pâle ne fasse qu'une bouchée de nous. Nous n'avons pas courbé l'échine face à la menace latente. Nous avons fait de ce bateau notre quartier général temporaire, avec le soutien plus ou moins tacite des matelots qui nous employaient. Nous considérer comme bouclier d'appoint était sûrement tentant. Après tout, quitte à perdre des hommes, autant qu'ils soient dans nos rangs et non les leurs.
C'était mal embrasser notre philosophie. Mal appréhender notre vision des choses. On bosse. Dur. Coude à coude avec ceux dans la même galère que nous.
Et le Premier Vent avait beau être un joli bâtiment, il n'en restait pas moins notre galère commune. C'est ainsi que nous avons travaillé. En équipe. Deux équipes de la Compagnie, chacune dans une chaloupe, une fois le large atteint. Avec nos hommes, le harpon à la main, se trouvaient des matelots maniant les rames afin de nous diriger au mieux, suivant les instructions d'un des nôtres demeuré sur le bateau principal.
Les deux équipes menèrent une lutte acharnée, mariant compétitivité et sens du travail bien fait.
Quand l'animal fut à portée de harpons ... Nous lancèrent toutes nos tripes dans la cavalcade. Les traits se mirent à pleuvoir. La peau de la créature n'avait pas usurpé sa réputation. L'animal ne déméritait pas. Ses dents, dignes des épées les plus effilées, mordaient tout ce qui passait à proximité.
Rame.
Barque.
Homme.
Si d'aucuns perdirent « simplement » un bras, un marin y laissa la vie.
La pression n'en devint que plus forte.
Il fallut plusieurs coups, bien placés, pour qu'une des deux chaloupes finisse par embrocher la créature et que nous la hissions à bord.
Une bonne chose de faite, non ?
Tout aurait pu s'arrêter là. Avec nos hommes de retour sur le pont. Fourbus. Mais délestés d'une tâche cruciale.
Seulement ... Une bonne histoire recèle quelques retournements.
Un froid qui s'infiltre insidieusement entre deux chants funèbres entonnés par les marins. Une ombre qui se découpe dans l'azur, imposante. Les tirs. De canons d'abord. D'artillerie de toute sorte ensuite. Et qu’avions-nous, nous ? De simples tonneaux comme remparts. Puis vint l'arraisonnage. Le flot continu de pirates déferlant sur le pont.
Notre pont.
Le froid se fit plus prenant. Réduisant les réflexes. Les sens. Un des nôtres, audacieux ou bien téméraire, tentant une riposte, s'écroula sous les tirs, sombrant dans les eaux. Un deuxième partit à sa rescousse.
Et en quelques secondes, les dés furent jetés.
L'embarcation, fier navire transportant des marins tout aussi fiers de leurs prouesses et de leur métier, se métamorphosa rapidement en une coquille de noix.
De nos souvenirs, il ne reste qu'un halo brumeux avant le naufrage.
Un déchirement.
Une compagnie éparpillée aux quatre coins d'un inconnu sablonneux.
Et des paupières, lourdes, papillonnant dans le vide au réveil, constatant douloureusement que nous n'étions pas tous là. | |
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