Le livre des Clés

Prévenir qu'il part ? Nooon. Trop compliqué. Pas assez dans le style du Doc. En revanche, pondre trois pages dans les Annales, ça, oui, bah oui, pourquoi pas ?

Si c'était pour accentuer le côté émouvant, Doc, sachez que je vous déteste. Et que vous avez intérêt à revenir vivant, que je vous bute moi-même.

Je n'ai jamais dit que je voulais un merci. Aucun de nous n'a fait ça pour obtenir un merci. On le faisait dans un seul but, on y est arrivé, on est content et voilà. Aussi simple que ça.

Même si ça fait plaisir à lire.

Bon, ça peut paraître trop simple de dire ça comme ça, certes. Quand nous sommes arrivés, avec le Nacré, la Montagne, Toute Mauve et moi, à l'entrée d'Eauvole, c'était sans la certitude que nous serions à la hauteur de la tâche qui nous incombait. Sur le chemin, la désolation titillait déjà nos narines, si on occulte les centaures zélés qui ont connu une triste fin pour d'autres raisons.

Je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée émue pour les pauvres skritts morts au champ d'honneur (et sous la main du Doc). Et, bordel, Doc, vous y allez rarement de main morte ... A l'entrée de la caverne, un cercle rituel, composé lui-même d'autres cercles plus petits. Et la composition des cercles eux-mêmes ? Les dépouilles des skritts. Les souvenirs d'eux, bien vivants, mêlés à l'odeur de putréfaction qui asphyxiait la caverne, croyez-moi, ça donne une forme de nausée. Mais je ne m'appellerai plus l'Archère le jour où je laisserai telle quelle pareille situation. Alors, foi de moi, la colonie renaîtra de ses cendres, avec toute mon aide.

(Et, Doc, en parlant de surnoms, c'est « l’Empreinte », pas « la petite bleue ». Vous me demandez, quand vous avez un doute, tûdieu. Que je n'aie pas l'impression de me casser la tête à consigner les surnoms de tout le monde pour des prunes. Hein.)

Bref. Tout ça pour dire que, à Eauvole, nous n'avions aucune garantie de réussite, aucun indice sur la position du Doc ou autre. Tout ce que nous savions se résumait au fait que les cultistes détenaient un grimoire qui, en deux claquements de doigts, pouvait nous rayer de la carte de la Tyrie. Rien que ça, ça met un minimum de pression.

Tous les points stratégiques du village étaient gardés par des cultistes, à l'image du moulin ou de cette fichue baraque (qui s'enfonce). Nous n'avions guère d'autre choix que d'opérer un peu de ménage, surtout que la sentinelle du moulin nous avait repérés, donnant rapidement l'alerte par un signal lumineux. Nous nous séparâmes alors, la Montagne partant réaliser une diversion plus loin et, du même temps, effectuer un brin de ménage à la sauce norne.

De notre côté, c'est sous l'invisibilité de Toute Mauve que nous approchâmes de la maison mal en point pour dézinguer les hommes la défendant. Une fois leur compte réglé, plus aucune menace visible ne se dressait sur notre chemin. Jusqu'à ce que nous descendions dans les sous-sols.

Là. Autre chose. Une forme d'horreur griffue qui se meut dans l'ombre. Une saloperie assez puissante pour taillader la pierre de la caverne avec la facilité d'un couteau tranchant le beurre. Un être pétri de barbarie et de force brute. La Montagne nous avait à peine rejoints qu'une serre implacable s'en saisissait pour la projeter en contrebas. La bête, sans pitié ni peur, se préparait à nous envoyer chez Grenth. Un à un. Coup de queue après coup de queue.

Dans sa fosse, cette chose, aux airs de centaure défiguré par l’indicible, ne craignait pas les lames. Ne craignait pas les flèches. Ne craignait pas la force. La lumière, aveuglante, d'une Toute Mauve déployant des trésors d'ingéniosité, l'agaça un temps. Un petit temps. Le harcèlement du Nacré, mettant à mal les réflexes et les nerfs de la créature, l'accula dans un goulot de pierre. Mais c'est le Loup, libéré de ses atours de norn, qui porta le coup de grâce. J'ignorais qu'il était possible de traverser un être comme une taupe progresse dans un tunnel de terre. Mais pourtant, si. Et le monstre rendit l'âme, dans un cri sinistre. Celui du Loup victorieux.

Quand la Montagne, encore sous sa forme animale, partit apaiser le reste de sa fureur destructrice aux alentours, nous dûmes conclure qu'il n'y avait point de Doc derrière la créature. Quand nous ressortîmes de la caverne, les pulsations magiques s'intensifiaient jusqu'à devenir constante. Une constante impression désagréable. Celle de s'être fait berner et d'avoir combattu le leurre tandis que le vrai rituel se tramait.

Le cimetière, éclairé comme en plein jour, pulsait du même temps d'une lueur étrange. Une lueur de mort, celle d'un portail patiemment ouvert par des forces mal intentionnées. Au pas de course, nous gagnâmes le lieu, dérouté par ces êtres non encore solides, vomis par ce trou béant, qui tentaient de nous retenir loin du mausolée.

Et dans le mausolée ... Cloué au mur, un vieillard, dont la force vitale, drainée sans ménagement, alimentait le rituel en cours. Non loin, un norn, macabre maître de cérémonie à l'égo chatouilleux. Rapidement protégé par un bouclier dont la couleur trahissait la nature, notre cible principale jouait avec nous, gonflé d'une arrogance qui causa sa perte. Dans son esprit convaincu que la seule issue était sa victoire, il oublia de comprendre que nous agissions en groupe. Pendant que le Nacré provoquait le norn pour le forcer à lancer un sort, et ainsi perdre son bouclier, Toute Mauve et moi le harcelions patiemment à coup de balles et de flèches. Durant nos tirs, le Nacré tâchait de venir en aide au Doc, extirpant de son corps fatigué les clous qui le neutralisaient.

Il nous fallut du temps. Eviter les serpents rampant dans l'eau à nos pieds avec pour raison d'être notre perdition. Pousser le norn dans ses derniers retranchements. Et alors que le Nacré l'avait déjà meurtri une fois, lui plantant dans la jugulaire un des clous du Doc, le norn commit sa plus grande erreur : lancer un sortilège qui le neutralisa lui-même. J'ignore ce qu'il devait réussir à l'origine. Mais je doute qu'il avait pour but de se mettre à fondre, comme un morceau de beurre au-dessus d'un feu.

Ne restait plus qu'à l'achever.

En revanche ... vraiment ... récupérer son âme dans un crâne. Doc. Voilà, quoi. Je ne le dirai pas souvent, je préviens, mais j'ai beau vous adorer, BORDEL, que vous êtes une FOUTUE tête de mule ... vraiment.

Enfin.

Après un dernier tour du mausolée, nous reprîmes la route, avec une triste conclusion : Terrence était dehors et, tant qu'il le serait, le Doc serait vieux. Avec tout ce que cela implique.

Courage ?